– En tant qu’être humain, il nous est difficile de nous rendre compte de la façon dont nos chiens perçoivent leur environnement, notamment car nous faisons souvent beaucoup d’anthropomorphisme avec nos animaux de compagnie. Pourriez-vous nous décrire le rôle de l’odorat d’un chien dans sa perception du monde ?
On pourrait dire que le chien perçoit le monde à travers son odorat. Les recherches menées depuis une quinzaine d’années sur ce sujet ont permis de montrer que les capacités du chien d’aujourd’hui à détecter et identifier les odeurs résulte du fonctionnement complexe et très élaboré de son organe sensoriel périphérique ainsi que de ses aptitudes à l’apprentissage et sa grande mémoire, qui sont le résultat de cette formidable évolution. Grâce à son exceptionnelle acuité olfactive, le chien perçoit l’odeur de ce qui l’environne bien avant qu’il ne voie l’objet dont elle émane. Le chien est par ailleurs capable de localiser la source de cette odeur, même si celle-ci est présente en infime quantité.
– Concrètement, que peut déceler l’odorat de mon chien ? Par exemple, grâce à son flair mon chien est-il capable de savoir que je suis passée à 200 mètres de la maison durant ma journée de travail ou les émotions que j’ai ressenties ?
Les odeurs sont représentées par un mélange complexe de molécules chimiques qui sont présentes en suspension dans l’air. Grâce à ses 250 millions de cellules réceptrices appartenant à 880 types différents, le chien de distinguer des milliers d’odeurs. Mais toutes n’ont pas la même pertinence pour lui, et ce n’est pas parce qu’il ne montre pas de réaction vis-à-vis de certaines odeurs qu’il ne les perçoit pas.
Si vous passez à 200 mètres de votre maison durant votre journée de travail, il y a peu de chances que votre chien, qui sommeille sur le pas de votre porte montre une réaction. En effet pour qu’il montre une réaction de reconnaissance, il faudrait que le vent apporte, sans le diluer, l’ensemble du mélange représentant votre identité olfactive et qui est composé de centaines de molécules organiques volatiles qui la composent.
Quant aux émotions que vous avez pu ressentir, là-aussi, certaines auront une pertinence pour votre chien. Si vous êtes stressée par exemple, votre chien sera peut-être capable de le détecter et de montrer une réaction comportementale. Mais là-encore, je pense que 200 mètres est une distance bien trop importante pour qu’il puisse avoir accès à cette information dans son intégralité.
– Quelle est l’influence de la race de mon chien sur ses capacités olfactives ?
Je ne sais pas dans quelle mesure on a pu montrer que certaines races de chiens sont « meilleures » que d’autres dans les tâches de détection olfactives et je n’ai pas de références bibliographiques faisant état de différences statistiquement significatives dans le nombre des récepteurs olfactifs ou dans l’efficacité du flair entre les différentes races de chien. Au départ, sauf preuve du contraire, tous les chiens ont une grande capacité de détection olfactive. En revanche, certaines races se prêtent mieux à la formation de recherche d’odeurs que d’autres, parce qu’elles présentent des caractéristiques dans leur gabarit, leur caractère, leurs capacités d’apprentissage ou de mémorisation et d’attention qui faciliteront leur formation en salle. D’autres races, représentées par les chiens de chasse ont une excellente capacité de pistage d’odeurs mais sont incapables de travailler dans des milieux clos (Saint Hubert, Basset Artésien). Dès lors et pour finir, je dirais qu’il est facile de généraliser mais n’oublions pas que de grandes différences inter-individuelles existent et l’on peut trouver des champions de la détection olfactive et aussi de mauvais détecteurs au sein de chaque race !
– Comment apprend-t-on à un chien à détecter une odeur en particulier ?
Même si les procédures utilisées au cours des formations sont propres à chaque spécialité, le principe sur lequel repose le dressage des chiens de détection consiste toujours en un apprentissage simple de type « odeur cible – récompense ». Très rapidement, le chien montre un réel plaisir à effectuer la tâche. Mais surtout, il apprend aussi très vite les règles du jeu consistant à « marquer » l’odeur cible pour obtenir la récompense. En fonction du type de spécialité de dressage, la procédure d’entrainement se complexifie de manière à augmenter la sensibilité olfactive du chien.
– En pratique, à quoi sont employés les chiens de détection ?
A partir du moment où le mélange de composés organiques volatile est émis à un seuil détectable par le nez du chien, que la nature de ce mélange est comparable d’un échantillon à l’autre et qu’elle est propre à la cible recherchée, il est possible de conditionner un chien à le détecter. Les domaines dans lesquels les chiens de détection peuvent être employés sont multiples et très variés, allant de la détection médicale (cancers, diabète, stress…), à la détection de stupéfiants ou d’explosifs auprès des forces de secours et de sécurité, en passant par la recherche de personnes ou même la détection de la présence de nuisibles (Cochenille de la vigne, punaises de lit…).
– Détecter des virus ou des infections virales chez des personnes grâce à des chiens de détection, est-ce possible ou est-ce une utopie ?
Il nous manque des données aujourd’hui pour être sûr que ce n’est pas une utopie, mais en tous les cas, c’est un beau challenge ! Au vu des données de la littérature, rien ne s’oppose à cette possibilité. On trouve quelques articles montrant que les chiens sont capables d’identifier des patients infectés par certaines bactéries sur la base des biomarqueurs spécifiques présents dans leurs selles, dans leurs urines ou dans leur haleine, en revanche, il y a très peu de travaux montrant qu’il est possible de former les chiens à identifier la présence d’une infection virale chez l’homme. Les deux seules études publiées sur ce sujet à ma connaissance ont montré que les chiens peuvent détecter la présence de biomarqueurs odorants émanant de cultures de cellules infectées par le virus bovin BVDV (virus bovin de la diarrhée) et, concernant l’organisme vivant, des biomarqueurs odorants spécifique au virus H1N1 chez l’oiseau.
Tout d’abord, on ne sait pas si chaque infection virale donne lieu à l’expression de composés organiques volatiles (COV) spécifiques que l’on pourrait retrouver chez tous les patients atteints d’un même virus. Ensuite, l’odeur corporelle d’un être humain est composée de centaines de molécules différentes. Selon moi, et ce qui sera le plus difficile à obtenir de manière fiable et reproductible, c’est un marquage spécifique de l’odeur émise chez un individu lorsque celui-ci est infecté par un virus, car rien ne nous dit aujourd’hui que le métabolisme des cellules infectées par un virus particulier chez l’homme exprimeront des COV qui seront similaires d’un individu à l’autre… Avant de répondre à cette question, il faudra donc procéder à de nombreux essais effectués en double aveugle. Cela prendra sûrement du temps mais le flair exceptionnel du chien mis à la disposition de bons professionnels cynotechniques en France est la recette idéale pour avancer vite et je ne serais pas étonnée d’en entendre parler prochainement !